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Réparer les caoutchoucs n’est pas un métier d’homme. Girlène Gilles le fait



On est mardi. Jour de combat, dit-on. À l’entrée du centre-ville de Léogâne, le soleil perd de sa fureur et commence à se taire. Cependant, Girlène Gilles ne cède rien de son énergie, alors que la nuit s’en vient. Sur le trottoir, au milieu de ses outils rugueux et de quelques motocyclettes, elle s’affaire méticuleusement sur les pneus perforés par des clous ou endommagés sur les routes, déjà en mauvais état.


Un nouveau client arrive sur son minibus. Gad jan yon fanm aksyonèz mesye! (Comme elle a osé cette femme !) s’exclame l’homme dans la trentaine. « Je n’ai jamais vu une femme faire ce travail », poursuit-il avant de laisser la monnaie à Girlène Gilles « pour son courage », précise-t-il.


« Apa w ale ? Moun sa yo prèske fini wi. (Ne vous en allez pas, j’ai presque fini avec ces clients) », lance Gilles à un jeune homme pour le convaincre de ne pas faire demi-tour.


« Bay sa devan on ti van tou non. (Ce pneu à l’avant mérite d’être réparé aussi) », s’adresse-t-elle à un autre.


Girlène Gilles a 37 ans. Mère de six enfants, elle vit en concubinage avec le père de cinq d’entre eux, Michel Galiotte. Ce dernier est dans le chômage. La réparation des pneus est l’unique source de revenus du ménage. L’activité entretient la maison, paie le loyer et envoie les enfants à l’école, nous confie Girlène Gilles. Après la mort de son père, il y a huit ans, elle est retournée vivre dans sa ville natale, Léogâne.


« J’avais 29 ans quand mon papa est mort et je tenais un petit commerce à Port-au-Prince. Sans son soutien, je ne pouvais plus continuer et je devais trouver mieux pour m’occuper des enfants. J’ai commencé à réparer les pneus de vélo sans l’aide d’un professeur. Avec les motocyclettes qui ont envahi Léogâne, les bicyclettes, jadis très présentes ici, disparaissent pratiquement. Je suis passée aux motos aussi sans que personne ne m’apprenne comment faire », raconte Girlène Gilles à AyiboPost.


Huit ans après, Gilles n’exprime aucun regret d’avoir fait choix de ce métier. « Ma vie n’est pas comme je l’aurais rêvé, mais ce travail me permet de subvenir à mes besoins. En même temps, ce ne serait pas mal de développer les affaires. Avoir un local. Acheter des matériels mécaniques qui me ménageraient un peu des immenses efforts physiques que je fournis. Créer d’autres activités économiques d’autre part me permettrait de me reposer certaines fois. Car des jours, je n’ai pas envie de venir, mais je n’ai pas le choix ».


La plupart du temps, Girlène Gilles travaille seule. Parfois, Michel Galiotte lui donne un coup de main. Les enfants aussi quand il n’y a pas de classe. « J’enseigne le métier aux enfants, dit-elle. Mais je travaille pour leur offrir de meilleures options que celle pour laquelle j’ai opté », nous dit Girlène Gilles. L’ainé de ses enfants est en S1, deux sont en 9e, les autres sont en 7e, 4e année et 3e année fondamentale.


Au quotidien, Girlène Gilles doit affronter les remarques des gens qui ne comprennent pas comment elle peut travailler aussi dur, étant une femme.


« Une femme ne pratique pas un métier que si elle ne le veut pas, analyse Gilles. Tout comme pour les hommes qui font la même chose que moi, c’est fatiguant. Quand je ressens des douleurs partout dans le corps, je prends un analgésique et je reviens toute neuve le lendemain. Donc, il n’y a pas d’excuses pour une jeune femme qui ne fait rien pour gagner sa vie », tance-t-elle. Girlène Gilles rejette d’un revers de main la thèse des métiers faits pour les hommes en raison de la haute dépense en énergie physique.


De l’avis de Mathelaud Sylvain, un jeune client qui est venu réparer le pneu de sa moto, Girlène Gilles est un modèle. « Sa vie devrait être racontée à toutes les jeunes filles », analyse-t-il.

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