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L'offensive à succès de l'armée nationale tchadienne contre les jihadistes sera-t-elle durab


Le Tchad a annoncé vendredi qu'il cesserait de participer à des opérations militaires en dehors de ses frontières. Cette annonce fracassante intervient au lendemain d'une campagne menée avec succès contre les groupes jihadistes dans le lac Tchad au prix de lourdes pertes, et qui ne suffira pas à arrêter la menace croissante dans la région, en l'absence d'une réponse militaire régionale coordonnée.


Quel est l'élément déclencheur de l'offensive tchadienne?


Le 23 mars, deux attaques spectaculaires, toutes deux revendiquées par des factions jihadistes rivales, sont menées contre les armées du Nigeria et du Tchad de chaque côté du lac Tchad, qui paient un tribut extrêmement lourd.


A l'aube, des combattants de Boko Haram prennent d'assaut la presqu'île de Bohoma, au Tchad, où se trouve une base de l'armée tchadienne. Au moins 98 soldats périssent: la plus lourde défaite jamais enregistrée par cette armée en 24 heures.


A quelques dizaines de kilomètres de là, de l'autre côté de la frontière, une autre attaque, menée cette fois par une faction rivale, vise leurs voisins nigérians, dans la région de Konduga (nord-est du Nigeria).


Au moins 70 soldats sont tués dans l'embuscade tendue à leur convoi par des combattants du groupe État islamique en Afrique de l'Ouest (Iswap), qui a fait scission avec Boko Haram en 2016.


Une montée en puissance des groupes jihadistes?


Boko Haram et Iswap, les deux groupes principaux de la région du lac Tchad, se disputent le contrôle des territoires et des ressources, notamment les taxes issues de la pêche et de l'élevage.


"On assiste en ce moment à une résurgence des attaques jihadistes très meurtrières de tous côtés (...) avec une sophistication et une efficacité accrues", note Bulama Bukarti, analyste pour l'Afrique subsaharienne à l'Institut Tony Blair.


Iswap, la branche affiliée au groupe Etat Islamique, vise surtout les forces de sécurité postées autour du lac, vaste étendue d'eau parsemée d'une multitudes d'îlots à la végétation dense, dont elle a fait son sanctuaire.


Selon M. Bukarti, il n'est pas impossible que ses combattants aient bénéficié d'armes et de ressources en provenance du Sahel, où opère le groupe État islamique au Grand Sahara (EIGS) qui agit sous le drapeau d'Iswap.


"Les liens entre les deux groupes ouest-africains semblent en train de se renforcer", abonde une note de l'International Crisis Group (ICG) publiée mardi.


De son côté, Boko Haram, principalement établi autour de la forêt de Sambisa dans l'Etat du Borno (Nord-Est du Nigeria) et dans l'extrême Nord du Cameroun, ne se contente plus d'opérer dans sa zone d'influence et étend désormais des actions jusque sur les îles du lac, plus au Nord.


Son leader historique, Abubakar Shekau, a ainsi revendiqué l'attaque de Bohoma contre les Tchadiens.


Il s'appuie notamment sur une cellule appelée "le groupe de Bakura", basée sur le lac près du Niger, et très active ces derniers mois, selon plusieurs spécialistes.


Ce groupe encore peu connu, qui serait constitué de Tchadiens de l'ethnie buduma, mais aussi de combattants d'Iswap ayant fait défection, a publiquement prêté allégeance à Shekau dans une vidéo d'octobre 2019.


"Shekau a su déléguer son autorité à des cellules parfois éloignées comme celle de Bakura pour mener des opérations en son nom et ne pas abandonner entièrement le lac aux hommes d'Iswap", estime Jacob Zenn, chercheur à la Fondation Jamestown, un institut basé à Washington.


La coopération militaire régionale est-elle efficace ?


Le président tchadien Idriss Déby, dont l'armée est réputée être l'une des meilleures de la région, a réagi à l'affront du 23 mars en lançant une vaste opération - par bateau, par la terre et avec des appuis aériens - baptisée "Colère de Bohoma" - qui a duré une dizaine de jours et s'est achevée mercredi.


Une Force multinationale mixte (FMM) avait été lancée en 2015 par les quatre pays riverains (Nigeria, Tchad, Cameroun et Niger), mais les militaires tchadiens avaient quitté le Nigeria début janvier, entraînant une résurgence des attaques.


Les Tchadiens ont donc été accueillis ces derniers jours en "sauveurs": ils ont "débarrassé" de nombreuses îles du lac des combattants de Boko Haram mais aussi d'Iswap, qui ont fui vers le Nigeria, le Niger ou le Cameroun, où ils se fondent parmi les populations civiles, selon des sources sécuritaires nihérianes.


Bilan officiel: mille jihadistes et 52 militaires tués dans les combats et de nombreux stocks d'armes saisis, selon l'armée tchadienne qui semble donc avoir agi seule, et en dehors du cadre de la FMM.


"La FMM reflète typiquement les institutions régionales qui fonctionnent mal", juge Jacob Zenn. "Les pays membres ne parlent pas la même langue, et il n'y a pas suffisamment de partage de renseignements".


Depuis cinq ans, Déby a dénoncé à plusieurs reprises l'inaction des pays voisins. Et le week-end dernier, il avait affirmé, visiblement exaspéré, que le Tchad était "seul à supporter tout le poids de la guerre contre Boko Haram".


Il a finalement décidé que ses soldats, également déployés dans le Sahel en appui de la force française Barkhane, ne combattraient tout simplement plus en dehors de leurs frontières.


"A compter d'aujourd'hui, aucun soldat tchadien ne participera à une opération militaire en dehors du Tchad", a-t-il déclaré jeudi.


Déby a prévenu le Niger et le Nigeria que ses troupes quitteraient les bases prises aux jihadistes sur leur territoire le 22 avril, que leurs armées prennent le relais ou non.

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