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Prix, essais cliniques, enthousiasme de Trump, étude chinoise: la chloroquine en onze questions


C'est la molécule dont on parle dans le monde entier. Depuis une étude réalisée par le médecin marseillais Didier Raoult, la chloroquine et son dérivé l'hydroxychloroquine représentent un espoir de traitement contre le coronavirus. Mais les zones d'ombre et les points d'interrogation sont encore très nombreux.


Elle est au coeur de toutes les attentions. La chloroquine, molécule principalement utilisée dans les traitements contre le paludisme, apparaît comme une voie vers un traitement potentiel à la maladie Covid-19 qui, ce lundi 23 mars, a déjà fait plus de 14 000 morts dans le monde.


En France, un médecin marseillais, le professeur Didier Raoult, estime que ses travaux autour de la chloroquine sont concluants et qu’il serait "immoral" de ne pas l’administrer aux malades.


Les autorités sanitaires, elles, sont plus prudentes et attendent les résultats de tests lancés à travers la France, dans des hôpitaux indépendants de l’Institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection où travaille le Pr. Raoult. Voici tout ce qu’il faut savoir sur cette molécule et sur sa possible utilisation dans la lutte contre le coronavirus.


Qu'est-ce que la chloroquine et à quoi sert-elle?


La chloroquine (commercialisée sous le nom de Nivaquine) est un vieux médicament utilisé depuis 70 ans. Ce médicament est principalement utilisé “dans le traitement préventif et le traitement curatif du paludisme”, précise le site Vidal.fr, référence sur les questions de santé. Il en existe également un dérivé, l'hydroxychloroquine (Plaquénil), notamment prescrit pour le traitement de la polyarthrite rhumatoïde ou du lupus.


Combien ça coûte ?


L'un des avantages de cette molécule, c'est qu'elle est bon marché, la molécule étant tombée dans le domaine public. C'est ce qu'a pointé le chef de file des sénateurs LR, Bruno Retailleau, ce dimanche sur France Inter. Selon la base de données publique des médicaments, 10 plaquettes de 10 comprimés de Nivaquine coûteraient 5,57 euros soit environ 5 centimes le comprimé. Comptez 5,19 euros pour une boite de Plaquenil.


Que sait-on des expériences du professeur Didier Raoult ?


Le professeur Didier Raoult a mené un essai clinique au sein de l’Institut hospitalo-universitaire de Marseille qu’il dirige, sur 26 patients. Sur ces 26 patients, six n'ont pas pu suivre l'essai jusqu'au bout et au final, les résultats portent donc sur 20 malades âgés de 12 ans et plus, en parallèle d'un groupe témoin constitué avec des patients de Nice, Avignon et Briançon. Six jours après avoir administré de l'hydroxychloroquine à raison de 600 mg/jour, soit moins que ce que les Chinois ont administré à des patients atteints de Covid-19, seulement 25 % d'entre eux étaient encore porteurs du virus, quand 90 % de ceux qui n'avaient pas reçu ce traitement étaient toujours positifs, selon lui. Si on ajoute un antibiotique, de l'azythromocine, alors la charge virale disparaît dans ce même laps de temps.


Au vu de la crise sanitaire, ces résultats spectaculaires ont conduit Didier Raoult à juger "immoral" de ne pas administrer la chloroquine aux malades du coronavirus, "à partir du moment où l'on a montré qu'un traitement était efficace". "Quand vous avez un traitement qui marche contre zéro autre traitement disponible, c'est ce traitement qui devrait devenir la référence. Et c'est ma liberté de prescription en tant que médecin. On n'a pas à obéir aux injonctions de l'État pour traiter les malades", poursuit le médecin dans les colonnes du Parisien. Pour traiter le Covid-19, "tout le monde" utilisera bientôt la chloroquine, promet Didier Raoult.

Que conclut l'étude chinoise sur la chloroquine ?


Une étude chinoise a été publiée le 19 février. Elle porte sur un essai clinique mené dans une dizaine d'hôpitaux chinois pour mesurer "l'efficacité de la chloroquine sur le traitement de pneumonies associées au Covid-19". Elle a donné des résultats encourageants avec des essais sur "plus de 100 patients" sans qu'on ne connaisse néanmoins les détails sur le profil des patients.


D'après les scientifiques auteurs de l'étude, le phosphate de chloroquine s'est révélé "plus efficace que le traitement reçu par le groupe comparatif pour contenir l'évolution de la pneumonie, pour améliorer l'état des poumons, pour que le patient redevienne négatif au virus et pour raccourcir la durée de la maladie". Cette étude -très succincte- a été publiée dans la revue BioScience Trends de façon préliminaire, c'est-à-dire sans avoir été validée par un comité d'experts scientifiques. De plus, elle ne donne pas de chiffres permettant de quantifier l'efficacité de la molécule par rapport au traitement administré au groupe témoin.


Quelles sont les limites pointées par certains médecins ?


La méthodologie de l'essai mené par Didier Raoult a été critiquée, notamment par le biologiste moléculaire Olivier Belli. Sur son blog, il pointe du doigt le faible nombre de patients testés et l'exclusion de certains malades avant la fin de l'étude ("alors que leur cas leur cas suggère clairement un échec du traitement"). Il accuse ainsi le médecin marseillais d'avoir "propagé des graphistes sensationnalistes sur sa 'découverte', ne prenant en fait en compte que 4 patients du groupe contrôle et laissant arbitrairement les autres de côté".


D'autres médecins ont également mis en garde contre le risque d'automédication lié à ces annonces, rappelant les effets indésirables de la molécule. Le professeur Raoult lui-même insiste sur le besoin d'être suivi par un médecin. Invité de France Inter ce lundi, Philippe Juvin, chef du service des urgences à l’hôpital Georges-Pompidou à Paris, a appelé à faire “très rapidement” la lumière sur l’efficacité de la chloroquine face au Covid-19. "Le véritable sujet, c'est qu'on n'a pas de traitement contre cette maladie", a-t-il souligné, avant d'appeler à une production massive du produit, dès maintenant.


Quels sont les effets indésirables de la chloroquine ?


Des médecins mettent en garde contre le risque d'automédication lié à ces annonces, rappelant les effets indésirables de la molécule. "Il faut faire attention car la chloroquine (...) a un certain nombre d'effets indésirables (...), affections du système immunitaire, affections gastro-intestinales, nausées, vomissements, des troubles au niveau hépatique voire hématologique", juge le professeur Jean-Paul Giroud, l'un des spécialistes les plus reconnus en pharmacologie et membre de l'Académie nationale de Médecine.


Qu’en dit le ministre de la Santé?


S'il ne ferme pas du tout la porte à l'usage de la chloroquine, Olivier Véran garde une approche mesurée au sujet de l’usage de cette molécule. Le ministre a indiqué samedi avoir demandé à ce que l'étude menée par le professeur Raoult "puisse être reproduite à plus large échelle dans d'autres centres hospitaliers, par d'autres équipes indépendantes", expliquant avoir réduit au maximum les délais et espérant des résultats d'ici 15 jours.


Un complément nécessaire car "jamais aucun pays au monde n'a accordé une autorisation de traitement sur la base d'une étude comme celle [du professeur Raoult]", a-t-il détaillé dans sa conférence de presse, expliquant qu'il suivait ces essais "d'extrêmement près". “Il est absolument fondamental d'asseoir toute décision de politique publique en santé sur des données scientifiques validées, et les processus de validation, on ne peut pas négocier avec”, a souligné Olivier Véran à propos de ces essais.


Si les résultats étaient concluants, "tout est prêt" et "nous pourrions aller vers une voie thérapeutique". "Mais l'histoire de maladies virales est peuplée de fausses bonnes nouvelles, peuplée de déceptions, de prises de risques inconsidérées aussi", a averti Olivier Véran. En tout cas, le gouvernement "met tout en oeuvre pour vérifier l'efficacité de la chloroquine", a-t-il précisé de nouveau dimanche sur LCI.


La chloroquine est-elle testée dans d’autres hôpitaux qu’à Marseille ?


La porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye, a précisé dimanche sur LCI que des expérimentations se poursuivaient "à Lille et à Paris". En effet, un essai clinique européen a été lancé dimanche 22 mars. L’étude, coordonnée pour la France par l’Inserm et baptisée Discovery, va tester des soins incluant plusieurs molécules dont l’hyroxychloroquine. Elle concernera 3200 patients dont au moins 800 patients français atteints de formes sévères du Covid-19. Parmi les hôpitaux français sélectionnés : Bichat à Paris mais aussi Lille, Nantes, Strasbourg et Lyon.


“Nous ouvrirons d’autres centres pour arriver au moins à une vingtaine d’établissements participants», explique Florence Ader, infectiologue au CHU de Lyon et chercheuse au Centre international de recherche en infectiologie CIRI, dans un communiqué.


En attendant, certains médecins dans les hôpitaux parisiens administrent déjà de la chloroquine à quelques patients. "Plusieurs hôpitaux parisiens prescrivent déjà de la chloroquine ?", a demandé ce lundi Léa Salamé sur France Inter au professeur Philippe Juvin. "Oui bien sûr", lui a-t-il répondu.


Yazdan Yazdanpanah, chef de service des maladies infectieuses à l’hôpital Bichat à Paris, le confirme : “Les gens ont besoin d’espoir dans une épidémie où il n’y a pas de solutions. Et comme des politiques, un certain nombre de médecins veulent leur donner du positif”. Mais il rappelle que la réponse doit être “scientifique” et qu’il ne faut donc pas se précipiter.


La chloroquine a-t-elle été restreinte par l'ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn début janvier?


C'est une thèse qui a connu une forte viralité sur les réseaux sociaux. Selon plusieurs internautes, l’ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn est à l’origine d’une restriction de la chloroquine. Sur les réseaux sociaux, la copie écran d’un arrêté signé début janvier 2020 par Jérôme Salomon, directeur général de la Santé, circule comme "preuve".


Cet arrêté, bien réel, indique que l'hydroxychloroquine a été classée "sur la liste II des substances vénéneuses". Mais il s’agit d’une succession d’erreurs de compréhension, comme nous l’avons expliqué dans un précédent article. Premièrement, l’hydroxychloroquine est un dérivé de la chloroquine. Cette dernière est classée sur cette même liste II depuis plus de 20 ans. Deuxièmement, les substances vénéneuses ne sont pas des molécules interdites, comme plusieurs posts le laissent penser.


Cela indique toutefois la présence de principes actifs dangereux pour l'organisme dans les produits classés sur cette liste. Mais les produits en questions peuvent toutefois entrer dans la composition d'un médicament avec un dosage non nocif et une prescription bien précise, sur ordonnance, précisent plusieurs articles du Code de la santé publique (CSP).


Christian Estrosi et Valérie Boyer sont-il traités à la chloroquine?


Le maire de Nice, Christian Estrosi (LR), lui-même contaminé par le coronavirus, a expliqué être “traité à la chloroquine”, dans un entretien vidéo accordé jeudi au quotidien régional Nice Matin.


“Au début, j’ai pris un Doliprane 1000 trois fois par jour. C’est ce qui est recommandé”, raconte-t-il. “Certains infectiologues comme le Pr Didier Raoult (...) sont à peu près d’accord sur le fait que même s’il n’y a pas assez de recul en terme épidémiologique, le fameux traitement à la chloroquine ajouté à un antiviral, l’Azithromycin ou plus vulgairement le Zithromax peuvent à la fois mieux protéger et accélérer la guérison. J’ai suivi leurs conseils et j’utilise ce traitement”, détaille le maire de Nice à nos confrères.


Christian Estrosi a également affirmé dimanche sur Radio J qu'il a "envie qu'on fasse confiance" à Didier Raoult. "L'hôpital de Nice a été approvisionné [en chloroquine] avec Sanofi, comme d'autres établissements hospitaliers de notre pays (...) Il y a des protocoles et à partir du moment où le médecin hospitalier se tourne vers les familles en demandant si elles sont d'accord, eh bien tant mieux", a-t-il souligné.


Elle aussi infectée par le coronavirus, la députée des Bouches-du-Rhône Valérie Boyer, est traitée depuis une semaine au Plaquenil. "J'ai un comprimé de Plaquenil le matin, et trois comprimés d'antibiotiques le matin", détaille-t-elle au micro de France Inter. Si sa toux persiste, elle assure néanmoins avoir toute confiance dans le suivi assuré par le CHU. "De toute façon, qu’a-t-on à proposer d’autre ?", interroge-t-elle.


Pourquoi Donald Trump est-il si enthousiaste ?


Le président américain n'a pas caché son enthousiasme. “Je pense que cela va changer la donne !” Ce jeudi 19 mars, Donald Trump a annoncé que les États-Unis allaient “pouvoir rendre le médicament disponible immédiatement”.


Mais cette fois encore, il avait parlé un peu vite. Le patron de la FDA, l’agence fédérale de pharmacovigilance, a dû modérer les ardeurs présidentielles en rappelant que l’utilisation de la chloroquine pour soigner le coronavirus n'avait pas été approuvée, et qu’il fallait passer par un test clinique plus large. Il a mis en garde contre le risque de générer "de faux espoirs" au sein de la population.

L’industrie du médicament n’a pas attendu pour se mettre en ordre de marche. L’israélien Teva a annoncé vendredi qu’il allait fournir gratuitement aux hôpitaux américains 10 millions de doses d’ici un mois.

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